Mon
séjour - Le temple
d'Haeinsa -Le bouddhisme
coréen
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Après un train et un bus, me voici à
Haeinsa dans le parc du Palgongsan. Je souhaiterais passer quelques
temps au temple bouddhiste qui est, parait-il, l'un des plus beaux
de la Corée. Daniel, un copain coréen, a appelé
dans la semaine mais il n'est pas possible de réserver, il
faut juste se présenter au temple. J'ai quand même
dans la poche un mot en coréen, au cas où personne
ne parle anglais et j'ai pris de quoi manger toujours au cas où...
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Il faut parcourir un kilomètre
dans la forêt avant d'accéder au temple, ça
grimpe ferme mais c'est très beau: aux vallées de
rizières parcourues en bus a succédé une forêt
de feuillus et de conifères qui prend ses premières
couleurs d'automne. Le chemin suit la rivière qui cascade
de rocher en rocher avec sa petite musique liquide. |
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Sur le chemin, je croise quelques
touristes qui redescendent et s'attardent devant quelques étalages
de souvenirs. L'arrivée au temple est magnifique: la porte
principale ouvre sur une allée d'arbres centenaires qui perdent
leurs premières feuilles. Le temple est au bout, déjà
désert. Je trouve l'accueil où l'on me dit qu'il me
faut la permission d'un moine pour rester. Je finis par dénicher
le moine en question qui va chercher un autre moine qui, dans un
anglais hésitant, me dit qu'il est possible de rester pour
une nuit, mais qui ne semble pas chaud pour que je reste plus: qu'importe,
une nuit me suffit et je décline l'offre de diner, je me
débrouillerai. Je dois revenir une heure plus tard, juste
le temps de redescendre au village où je dîne debout,
à la coréenne d'un odeng, une brochette de
pâte de poisson qui cuit dans un bouillon qu'on serre à
part. |
Ca réchauffe bien et c'est agréable dans
la nuit qui tombe. Je remonte au temple où des moines m'invitent
plusieurs fois à rejoindre le réfectoire, dommage, c'est
trop tard, j'aurais du accepter tout à l'heure...Le moine d'accueil,
un peu cerbère m'emmène vers le dortoir où une ajuma
me fait de longs discours en coréen. Elle veut que j'aille manger
(bap, bap) et finalement me montre un endroit où dormir sur le
sol et la pile de literie. Je récupère une couette à
mettre au sol et une autre pour me couvrir ainsi qu'un oreiller.
Un emploi du temps est placardé, mais
tout est en coréen. Comme je sais qu'une cérémonie
religieuse commence vers 6 heures, je sors et arrive juste à
temps. Dans l'un des batiments ouverts de la cour principale, un
moine frappe sur un tambour énorme le début de la
prière. Les moines se succèdent devant l'énorme
peau tendue, jaune sous les lumières tandis qu'autour de
nous la nuit se fait. Des échos nous parviennent de la vallée
tout entière: dans les autres temples de la montagne, la
même cérémonie a commencé. La montagne
sombre se peuple de ces sons graves. On frappe d'abord le tambour
énorme, pour la "transmigration" des animaux. Ensuite
un moine frappe d'un bûche l'énome cloche dont les
vibrations longues montent vers le ciel, elle sonne pour les êtres
de l'enfer. |
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Les quelques personnes qui regardaient
sont parties, je suis seule quand les moines battent le poisson
de bois pour les esprits en peine de la terre et de l'eau, rapidement
le gong lui succède, pour les esprits errants désespérés...Les
moines quittent alors le batiment pour rejoindre le hall principal
où a lieu la prière. Je n'ose pas les suivre et reste
hors du temple devant les chaussures en plastique bleu bien rangées
en écoutant ces voix entamer les prières chantées.
La nuit est maitenant tombée et la beauté du temple
à peine éclairé et peuplé seulement
de ces chants est tangible. De plusieurs batiments, résonnent
les chants et les percussions. Je me promène un peu mais
il fait froid et je rejoins le dortoir où une ajuma dort
déjà, les autres sont à la cérémonie,
je les ai vues au fond du temple, bien alignées, les mains
jointes sur la poitrine... |
Sanitaires spartiates: douches communes et toilettes
sans chasse parfumées à la naphtaline. Puis je prépare
mon lit et me glisse à même le sol. A 19h30, mes collègues
de chambre reviennent, une petite vieille haute comme trois pommes
veut absolument dormir à côté de moi, elle se
fait rabrouer par une autre petite vieille quand elle essaye de
mettre son yo à ma droite, elle va donc s'installer à
ma gauche. Le dortoir est pourtant énorme, mais je suis bien
entourée de mes ajumas. La première fait le tour de
la pièce en offrant des bonbons à la menthe, mais
ils ressemblent furieusement à la naphtaline des toilettes
alors je la remercie mais les garde pour plus tard. Elle s'en met
deux dans la bouche et se couche toute habillée.
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Heureusement que je suis fatiguée car l'extinction
des feux est à 21h et je m'endors en riant entre les ronflements
de ma voisine de droite et les bruits de dentier sur le bonbon de ma voisine
de gauche. Je me réveille un peu, le sol est chauffé comme
dans toutes les maisons coréennes et j'ai trop chaud sous mes couettes.
Une des femmes prie dans le noir, agenouillée devant le Bouddha
du dortoir.
A 3 heures, les tambours commencent à sonner le
réveil. Je me lève et me presse vers le temple principal:
pas question de louper la cérémonie aujourd'hui. Du coup,
il est désert quand j'arrive alors je me cache, l'ambiance est
très intimidante et j'attends derrière un arbre pendant
que les files de moines drapés de brun sur leur pyjamas gris montent
dans la nuit vers la lumière du templel. Quand je vois ma petite
ajuma, je les rejoins enfin, un moine me montre où mettre mes chaussures
et m'explique par geste que "pas de photos". Je me fais toute
petite et prends mon tapis pour aller me ranger près des deux autres
femmes qui sont déjà là. Bientôt toutes mes
copines ajumas sont là, 6 femmes bien rangées derrière
la centaine de moines, assis sur leur tapis de prière devant les
grands bouddhas d'or.
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Les percussions marquent le rythme
de la cérémonie entièrement chantée.
La beauté des voix graves qui sort de ces silhouettes identiques,
crâne rasé, corps drapé, l'inspiration au même
instant, est imposante. La première partie se fait assise,
mais bientôt c'est le temps des prosternations. J'ai enfin
l'occasion de tester la "prosternation du lapin " (nom
non officiel). On part debout, les mains sur la poitrine et on s'agenouille
pour se prosterner, la tête entre les maines au sol, puis
on relève les mains de chaque côté de la tête
comme si on était un lapin, puis on se relève et on
recommence. Je ne sais combien de fois je me suis prosternée
mais j'ai remercié tous ces cours de yoga qui m'ont rendu
un peu plus endurante. Au bout de 10 mn, j'ai mal aux genoux et
je suis en sueur mais les prosternations chantées continues
en cadence. Bientôt le rythme ralenti et la cérémonie
s'achève avec le départ des moines en files.
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Quelques regards curieux vers cette grande fille blanche
au milieu des petites ajumas. Je rentre au dortoir: y'a une ajuma qui
a triché, elle est restée au lit! Finalement, tout le monde
vient se recoucher et je me rendors sans problème jusqu'à
ce que ma voisine naphtaline me réveille en tirant sur mon yo "bap,
bap!". C'est l'heure du petit déjeuner, elle m'y emmène
et me montre comment faire. Au début, j'ai un haut-le-coeur, franchement,
le kimchi à 6 h du matin, j'ai vraiment peur que ça ne passe
pas! Mais je remplis gaillardement mon plateau: riz, kimchi, cacahuètes
fraiches en sauce, algues sèches et ragoût de tofou aux champignons.
Finalement, j'engloutis tout, d'abord parce que je me rends compte que
j'ai très faim mais surtout parce que c'est délicieux! Les
moines sont végétariens (végétaliens même
je pense) et la cuisine est très simple, mais extrêmement
savoureuse et, fait étonnnant en Corée, elle n'est pas épicée.
C'est l'un de mes meilleurs repas depuis que je suis ici. Le ragoût
veggie est sublime, parfumé, tendre, un délice. Quand je
pense que les moines offrent gracieusement le gite et le couvert, je ne
comprend pas pourquoi il n'y a pas ici une foule de gastronomes économes!
J'hésite un peu sur la suite du programme,
au départ je voulais passer deux nuits au temple et rentrer
le lendemain sur Séoul mais ça ne semble pas possible,
il y a bien un autre temple à voir dans les environs, mais
je n'ai pas envie de me stresser avec des horaires de bus. Je décide
de partir en rando dans le petit matin vers le sommet du parc naturel.
Superbe ballade, un peu technique mais le chemin est bien indiqué,
deux heures dans la montagne à taquiner les écureuils
jusqu'à un Bouddha sculpté dans la pierre il y a bien
longtemps. |
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Heureusement, on m'a dit qu'il n'y avait plus
de tigres dans le coin, seuls les écureuils me crient dessus
parce que je trouble leur tranquilité. N'ayant plus d'eau,
j'abandonne l'idée de monter jusqu'au sommet et redescend
visiter les hermitages. Haeinsa compte 15 hermitages en plus du
temple principal. Répartis dans la vallée, ils offrent
des architectures variées dans des cadres toujours sublimes.
La forêt est en train de se parer de rouge et d'orange profond,
le feu des arbres illumine un temps un peu maussade, je vais d'un
hermitage à l'autre, scènes précieuses, un
moine chante seul dans un petit temple, un autre regarde pousser
le potager... |
Peu à peu, quelques visiteurs montent
vers les temples. Dans l'un des hermitages, un moine m'aborde, il
parle un peu anglais et quand je lui dis que je rentre à
Séoul, il se propose de me descendre en voiture, il doit
aller à Daegu et peut me déposer, rendez-vous à
midi. L'attitude des moines envers moi a changé depuis ce
matin, depuis que je suis allée à la prière
je pense. Dans la cour, quelques-uns me saluent ou me sourient.
Je les salue à leur manière, inclination les mains
jointes sur la poitrine. Je vais ainsi d'hermitage en hermitage
en attendant l'heure du déjeuner. Le temple est animé
maitenant, des cars scolaires ont du s'arrêter, des lycéens
viennent en visite. Un groupe de chinois se presse. Tous viennent
voir le trésor d'Haeinsa, inscrit au patrimoine mondiale
de l'Unesco: le Tripitaka. |
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Je propose à l'accueil de
faire une offrande au temple mais on refuse mon argent alors je
vais acheter des tuiles. Les tuiles sont une manière pour
les temples de se financer: chacun achète une tuile et écrit
dessus son nom et un voeu ou un message. Il y aura donc le nom de
gens que j'aime sur les toits d'Haeinsa. Je retourne déjeuner,
parmi les moines et les nonnes, difficiles à distinguer les
uns des autres: le crâne rasé, le large habit gris
et parfois un grand chapeau de paille. Le déjeuner est tout
aussi savoureux que le petit-déjeuner, on mange en silence
et je pars à mon rendez-vous. Le moine n'est pas prêt
aussi je bénéficie du traitement de faveur des visiteurs
(dixit le guide): je suis invitée à partager le thé. |
. Deux jeunes moines dont un parle un peu d'anglais
m'invitent dans un des pavilllons de bois et de papier et, autour
de la petite table, nous savourons l'amertume parfumée d'un
thé excellent, feuilles entières dans la théière,
aéré de bol à bol avant d'être bu dans
des bols minuscules. On essaye de parler un peu, je donne ma carte
de l'Université qui impressionne le moine, il m'explique
un peu le système de noviciat. Il est bientot temps de partir
et je prends place dans le monospace ultra-moderne du moine conduit
par une des filles qui travaillaient dans le pavillon où
l'on a pris le thé. Un dernier regard vers le temple et le
parc et je m'endors dans un air d'opéra américain
que le moine semble apprécier. |
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Je ne serai jamais moine bouddiste, ça fait trop mal aux
genoux et je n'aime pas les uniformes! Mais j'ai maintenant le bonheur
de penser que tous les matins à 3h30 et que tous les soirs
à 18h30, dans la vallée d'Haeinsa, résonnent
le chant pur des moines et que le chant, de temple en temple, monte
vers les sombres sommets. |
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